La préfecture de police peut-elle interdire la création de pistes cyclables ou d’aires piétonnes à Paris ?

Le 30 août 2022, une piste cyclable a symboliquement été délimitée pendant une vingtaine de minutes sur le pont d’Austerlitz à Paris au cours d’une manifestation organisée à l’initiative  de l’association cycliste « Paris en Selle ». L’association entendait protester contre la fermeture de d’une bande cyclable et d’un couloir de bus ouvert aux cyclistes sur ce pont pour plusieurs mois de travaux, alors que trois voies de circulations restaient ouvertes pour les véhicules motorisés. Les élus parisiens qui s’étaient rendus sur les lieux ont cependant expliqué que c’était à la demande de la préfecture de police, qui est compétente en matière de police de la circulation sur les ponts de Paris, que la circulation avait ainsi été organisée. La ville ne pouvait agir que sur l’organisation du chantier, mais pas sur les voies de circulation[1].

Qu’en est-il exactement ? Qui, à Paris, a le pouvoir de décider de la création d’une piste, d’une bande ou d’un contresens cyclable, et qui peut s’y opposer ? 

La création de pistes cyclables en agglomération dépend d’une pluralité de fondements juridiques. 

La création d’aménagements cyclable relève en même temps de l’aménagement de l’espace public (et donc notamment des codes de la voirie, de l’urbanisme et de l’environnement) et de la police de la circulation (et donc du code de la route et du code général des collectivités territoriales).  

Le maire est responsable du « plan de circulation de sa commune ».

Mais que signifie le terme « police de la circulation et du stationnement » ? Bien entendu, il ne s’agit pas seulement de sanctionner les contrevenants à la signalisation routière, mais de produire la réglementation locale relative aux conditions de circulation et de stationnement sur un territoire. Ses bases juridiques se trouvent dans le code de la route pour les règles générales (livre IV : « l’usage des voies ») et dans le code général des collectivités territoriales (CGCT) pour ce qui concernent les pouvoirs de police des autorités territoriales, à commencer par ceux de la commune. 

Le code de la route donne tout d’abord un certain nombre de définitions à son article R.110-2. Cet article permet notamment de savoir précisément ce que sont une chaussée, une voie de circulation et, pour ce qui nous intéresse ici, une bande cyclable, une piste cyclable, une aire piétonne, une zone de rencontre ou encore une voie verte. 

Les articles R411-8 et R.411-25 du code de la route permettent à l’autorité investie du pouvoir de police de la circulation (à l’intérieur des agglomérations, il s’agit, au cas général, du maire) de compléter les règles générales par voie réglementaire. Elle peut ainsi, notamment, matérialiser des voies sur les chaussées, placer une signalisation lumineuse aux intersections ou réglementer le sens de circulation et le stationnement.

Par ailleurs, les articles L.2213-1 à L.2213-6-1 du CGCT, qui précisent les pouvoirs de police du maire, lui donnent notamment le pouvoir de limiter la vitesse maximale autorisée en deçà de ce que prévoit le code de la route[2], d’interdire aux véhicules ou de restreindre l’accès de voies à certaines catégories de véhicules[3], de réserver des voies aux transports en commun (« couloirs de bus »)[4], de réserver à certaines catégories d’usagers une partie des places de stationnement[5]. Il peut également interdire l’accès de certaines voies ou de certains secteurs de la commune aux véhicules en vue de préserver la tranquillité publique, la qualité de l’air, la protection des espèces animales ou végétales, celle des espaces naturels, des paysages ou des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques[6]. Il peut enfin (et, dans certains cas, doit) également créer et délimiter des zones à faible émissions[7].

Aux termes de l’article R.411-25 du code de la route, aucune mesure de police de la circulation ne peut entrer en application sans avoir fait l’objet d’un arrêté, la signalisation devant être conforme aux modèles fixés par l’arrêté du 24 novembre 1967.

Ainsi, comme le rappelle une réponse ministérielle à une députée[8], « la création d’une bande ou d’une piste cyclable sur la chaussée constitue un changement d’exploitation de la voirie concernée. En application de l’article R. 411-25 du code de la route, elle est subordonnée à la prise d’un arrêté de l’autorité détentrice du pouvoir de police de la circulation ». 

Mais le maire est aussi l’autorité chargée, dans la commune, de l’aménagement et de l’entretien de la voirie

Ce pouvoir de réglementer la circulation et le stationnement est distinct de celui consistant à réaliser des infrastructures et des aménagements, qui est plutôt à rattacher à la compétence en matière de voirie et d’urbanisme, même si au quotidien ces deux missions apparaissent en relation étroite. 

Ainsi, à Paris, la création d’une piste cyclable nécessitera également presque toujours un permis d’aménager en application de l’article R.421-21 du code de l’urbanisme, qui rend celui-ci obligatoire pour la création d’une voie ou pour les travaux ayant pour effet de modifier les caractéristiques d’une voie existante dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables et les abords des monuments historiques. On peut d’ailleurs constater, en consultant le site d’open data de la ville de Paris[9] que, pour la réalisation de pistes cyclables, la direction de la Voirie et des déplacements de la ville demande un permis d’aménager à la direction de l’Urbanisme.

On peut également retenir que l’article L.228-2 du code de l’environnement rend obligatoire la réalisation d’itinéraires cyclables lors des opérations de rénovation de voirie à l’intérieur des agglomérations. Selon cet article, ces itinéraires doivent être pourvus d’aménagements prenant la forme de pistes, de bandes cyclables, de voies vertes, de zones de rencontre ou, pour les chaussées à sens unique à une seule file, de marquages au sol, en fonction des besoins et contraintes de la circulation. Lorsqu’une rénovation de voirie intervient à Paris, les autorités municipales doivent donc prévoir l’aménagement le plus favorable possible aux cyclistes, compte tenu des besoins et contraintes de la circulation. 

Enfin, le code de la voirie routière rend les communes responsables de l’entretien de leur voirie et attribue au maire la mission de coordination des travaux nécessaires. 

Un partage des compétences spécifique à Paris

A Paris, il existe une répartition des compétences entre le maire et le préfet de police en matière de gestion de la voirie qui déroge aux règles générales résumées ci-dessus. Elle figure à l’article L.2512-14 du CGCT. 

Cet article pose un principe : le maire de Paris est, comme ailleurs en France, l’autorité en charge de la police de la circulation, mais il introduit trois exceptions qui correspondent à trois réseaux de voies. 

Dans un premier réseau de sites et de périmètres, le préfet de police « réglemente de manière permanente les conditions de circulation et de stationnement ». En clair, c’est lui qui établit et signe les arrêtés correspondants  « pour des motifs liés à la sécurité des personnes et des biens ou pour assurer la protection du siège des institutions de la République et des représentations diplomatiques ». Cette liste peut être allongée temporairement en cas de circonstances particulières (évènements importants, tels les Jeux olympiques, manifestations, visites officielles). Le préfet de police peut ainsi « prendre la main » lorsque les circonstances l’exigent.  

C’est le préfet de police qui établit lui-même, par arrêté, la liste des sites et des périmètres concernés. L’arrêté applicable actuellement est le n°2017-00801 du 24 juillet 2017[10].

Ces zones à l’intérieur desquelles la réglementation relève du préfet de police comprennent notamment un vaste périmètre rive droite, allant du quartier du Louvre jusqu’à la place de l’Étoile et à l’avenue de la Grande Armée, et incluant une grande partie du 16e arrondissement (notamment le quartier du Trocadéro), une partie des 7e (« périmètre rive gauche ») et 6e arrondissement (« périmètre Saint-Sulpice-Odéon »), l’île de la Cité, et les voies desservant les ministères économiques et financiers (« périmètre Bercy ») ainsi que les principales voies circulables du bois de Vincennes. 

Un second réseau comprend les « axes essentiels à la sécurité à Paris et au bon fonctionnement des pouvoirs publics ». 

Sur ce réseau, le maire de Paris reste en charge de la police de la circulation mais il doit respecter les prescriptions prises par le préfet de police pour les aménagements de voirie, l’objectif étant de garantir la fluidité de la circulation des véhicules de sécurité et de secours. 

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cela ne signifie pas que la ville de Paris doit demander l’avis conforme du Préfet de police avant de réaliser les travaux projetés. Elle doit le saisir afin de recueillir ses prescriptions et les intégrer dans son arrêté. Cette interprétation a été confirmée successivement par le Tribunal administratif de Paris et la Cour administrative d’appel de Paris dans des arrêts relatifs à la fermeture des voies sur Seine à la circulation automobile[11].

La liste des voies concernée est fixée par décret. Actuellement, il s’agit du décret n°2017-1175 du 18 juillet 2017[12].

Ce réseau comprend notamment

  • le boulevard périphérique ;
  • le périphérique intérieur (maréchaux) ;
  • les quais de Seine (y compris la voie George Pompidou) et de l’île de la Cité ;
  • un axe Seine Sud-Ouest, de la porte de Saint-Cloud à la rue Balard ;
  • un axe Sud-Nord, de la porte d’Orléans à la porte de Pantin (qui comprend notamment le boulevard Sébastopol et le boulevard de Strasbourg) ;
  • un axe Est : de l’avenue de la Porte de Vincennes à la porte d’Italie en passant par la place de la Nation ;
  • un axe Ouest, de la porte d’Asnière à l’avenue du Maine.

Enfin, l’article L.2512-14 définit un troisième réseau de voies « dont l’utilisation concourt à la sécurité des personnes et des biens à Paris en situation de crise ou d’urgence ». 

Il s’agit des voies que les véhicules de secours doivent toujours pouvoir emprunter. Sur ce réseau, le maire de Paris conserve ses pouvoirs de police de la circulation mais il doit consulter le préfet de police. Celui-ci rend un avis sur chaque projet qui lui est soumis, mais son observation n’est pas obligatoire. Dans une réponse à la question écrite d’une sénatrice[13], le ministre de l’Intérieur indique ainsi que, lorsque la ville de Paris a présenté le projet de réserver la rue de Rivoli aux transports en commun ainsi qu’aux taxis et aux cyclistes, la préfecture de police avait rendu un avis défavorable, ce qui n’a pas empêché la ville de réaliser le projet. 

Là aussi, la liste des voies est définie par arrêté du préfet de police. L’arrêté actuellement applicable date également du 24 juillet 2017 et porte le numéro 2017-00802[14].

Ce troisième réseau comprend notamment les boulevards des fermiers généraux et la rue de Rivoli ainsi qu’un certain nombre de rues menant aux portes de Paris, non comprises dans les deux réseaux précédents. 

Il est à noter qu’une même rue ou place peut appartenir à plusieurs réseaux. Ainsi, la place de la Concorde fait partie des sites dans lesquels la préfecture réglemente la police de la circulation et du réseau des « axes essentiels ». Là où ce recouvrement existe, la préfecture de police est donc en charge de la réglementation et peut prescrire des aménagements.

En dépit du principe selon lequel la ville de Paris est l’autorité de circulation dans Paris, la ville est en quelque sorte sous tutelle de la préfecture dès lors que la rue est considérée comme un axe essentiel pour la circulation parisienne ou que s’y trouvent des ambassades, des ministères (ou leurs dépendances) et des juridictions. 

Cependant, la mairie de Paris conserve, dans tous les cas de figure, une marge de décision et d’exécution importante. 

  • elle tient les cordons de la bourse : les pistes cyclables, zones piétonnes ou les zones de rencontre sont financées pour l’essentiel sur son budget ou en partenariat avec d’autres collectivités (métropole du grand Paris ou région Île de France). Lorsque la région participe au financement d’un aménagement de voirie (piste cyclable, couloir de bus), cela donne lieu à une délibération du Conseil de Paris autorisant la maire à signer une convention. 
  • la politique de mobilité urbaine fait partie de ses missions et c’est elle qui est en charge de la programmation des investissements et de la planification urbaine au sens large. Ainsi, le Conseil de Paris a approuvé, lors de sa session de novembre 2021, un plan vélo pour la période 2021-2023 prévoyant, entre autres mesures, la réalisation d’au moins 180 km de pistes cyclables supplémentaires par rapport à l’existant en 2020 au moyen de la pérennisation des pistes provisoires mises en place à la sortie du confinement de 2020 et de la réalisation du réseau structurant « Vélopolitain ». 
  • les autorités municipales, élues par les citoyens, détiennent enfin la légitimité démocratique face à la préfecture de police, chargée de missions essentielles de service public mais représentante de l’État et qui n’a pas à rendre de comptes aux habitants. Tout gouvernement aura le souci de ne pas apparaître, si possible, comme responsable de freins administratifs opposés à la volonté des habitants. 
  • un refus de la préfecture de police relatif à un aménagement sur l’un des périmètres qu’elle réglemente devra être précisément motivé. A défaut, la mairie de Paris pourrait le contester devant le juge administratif. Sur ce point, on rappellera que le texte du II de l’article L.2512-14 du CGCT dispose clairement que le préfet de police réglemente « pour des motifs liés à la sécurité des personnes et des biens ou pour assurer la protection du siège des institutions de la République et des représentations diplomatiques ». Ce n’est que sur le réseau des axes essentiels, défini par décret, que le préfet de police doit garantir « la fluidité de la circulation des véhicules de sécurité et de secours » ;
  • enfin, en cas de rénovation de voirie, lorsque c’est le préfet de police qui réglemente les conditions de circulation ou prescrit des aménagements de voirie, on voit mal comment l’article L.228-2 du code de l’environnement (qui prend en compte l’analyse des « besoins et contraintes de la circulation ») ne serait pas applicable. Or c’est bien la ville qui décide des rénovations de voirie, la compétence du préfet de police se limitant, sauf sur le réseau des axes essentiels, à la réglementation de la circulation et du stationnement. 

Qu’en est-il finalement du pont d’Austerlitz, mentionné en introduction de ce billet ? Il figure sur le décret du 18 juillet 2017 selon lequel la ville de Paris doit se conformer aux prescriptions du préfet de police. Il en est d’ailleurs de même pour la place Valhubert, située au débouché de ce pont et, rive droite, pour le quai de la Rapée et la voie Mazas. 

La ville de Paris ne pouvait donc effectivement pas passer outre les prescriptions du préfet de police, par exemple en remplaçant une des voies de circulation générale par une piste cyclable, même provisoire, pendant la durée des travaux. 

Rappelons toutefois que la circulation générale s’effectue sur ce pont dans le sens allant de la rive droite vers la rive gauche alors que le couloir de bus permet en principe aux cyclistes en provenance de la rive gauche de traverser dans l’autre sens. La présence d’une baraque de chantier à l’extrémité du pont côté rive gauche avait donc pour conséquence de placer les cyclistes venant de la rive gauche non avertis du chantier (en période de retour de vacances) nez-à-nez avec les automobilistes venant de la rive droite. Au-delà de la défense d’un aménagement cyclable, les associations cyclistes pouvaient avoir de bonnes raisons de penser qu’il existait aussi un véritable enjeu de sécurité routière, non pris en compte. 

C’est peut-être pour cela qu’un aménagement de dernière minute a pu être mis en place sans que la préfecture s’y oppose : une bande cyclable a été tracée sur le trottoir, côté rive gauche, permettant ainsi aux cyclistes de rejoindre la portion de couloir de bus encore praticable. On constate que, plus d’un an plus tard, le chantier n’est pas terminé et, même si l’aménagement en question est critiquable car potentiellement générateur de conflits d’usage entre piétons et cyclistes, il a peut-être permis de sauver des vies. 

La ville de Paris et la Préfecture de police peuvent donc s’opposer à un moment précis sur l’affectation ou les aménagements d’un boulevard, d’un pont ou d’une rue mais, à long terme, elles n’ont d’autres choix que de coopérer. 


[1] voir le compte rendu paru dans Le Parisien du 3 septembre 2022.

https://www.leparisien.fr/info-paris-ile-de-france-oise/transports/pistes-cyclables-a-paris-des-ponts-tres-empruntes-a-velo-mais-mal-amenages-03-09-2022-MODESM5GQVELVHUNVG6D5MSQIU.php

[2] Article L.2213-1-1

[3] Article L.2213-2

[4] Article L.2213-3

[5] Article L.2213-2

[6] Article L.2213-4. C’est sur le fondement de cet article que la voie express rive droite a pu être interdite aux véhicules motorisées, pour des motifs de préservation du patrimoine (les quais de Seine sont en effet inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO). 

[7] Article L2213-4-1

[8] Assemblée nationale, 15eme législature, question écrite n°25164, Mme Dufeu, réponse publiée au JO du 15 septembre 2020 ou consultable en ligne. 

[9] https://opendata.paris.fr/page/home/ Rubrique « urbanisme et logement ». 

[10] Cet arrêté, ainsi que l’arrêté n°2017-00802 ont été publiés dans le bulletin officiel de la ville de Paris n°2017-60 du premier août 2017 qui peut être téléchargé à l’adresse suivante :

https://www.paris.fr/pages/publications-administratives-181

[11] TA de Paris, n° 1805424 et recours joints du 25 octobre 2018, points 12 à 14. CAA de Paris, n° 18PA03774 et recours joints du 21 juin 2019, point 14.

[12] CE décret peut être consulté et téléchargé sur Légifrance à l’adresse suivante : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000035243497

[13] Sénat, 15eme législature, question écrite n° 17859 du 17 septembre 2020, Mme Dumas, réponse publiée au JO du 29 octobre 2020 ou consultable en ligne sur le site du Sénat.

[14] Voir note n°10.